L'Histoire sous hypnose

Retraçant l'histoire de la thérapie hypnotique dans un petit ouvrage, Anita Violon bat en brèche le soupçon, la crainte ou le rejet que cette thérapeutique peut encore engendrer.
Docteure en psychologie, psychothérapeute, hypnothérapeute et spécialiste de la douleur, Anita Violon a longtemps pratiqué dans des services universitaires de neurochirurgie et de neurologie. Auteure de nombreuses publications, elle signe, avec "La thérapie hypnotique au fil des siècles", un ouvrage qui décrit l'hypnose sous toutes ses formes et son histoire séculaire, en symbiose avec celle de l'humanité.
Le journal du Médecin: Franz-Anton Mesmer, l'inventeur de l'hypnose, a-t-il été mal jugé à l'époque des lumières?
Anita Violon: Mesmer était en avance sur son temps et portait ombrage à beaucoup de personnes. Le mouvement scientifique n'appréciait pas beaucoup ses mises en scène: Mesmer se baladait en longue robe, il touchait les patients avec un bâton qu'il avait soi-disant magnétisé, évoluant dans un environnement qui pouvait paraître trop magique. Benjamin Franklin faisait partie de ce groupe de scientifiques qui a directement critiqué Mesmer et sa méthode, la traitant de charlatanisme.
Vous parlez de mise en scène, mais on observe la même tendance chez Charcot?
Charcot était un personnage intéressant, mais qui ne détestait pas se faire de la publicité et qui photographiait à leur insu les femmes qu'ils traitaient à la Salpêtrière dans des poses extravagantes qu'il leur avait suggérées. Ses séances étaient un vrai spectacle public, mais je ne suis pas sûre que Charcot pratiquait l'hypnose thérapeutique.
Jean-Paul Kauffmann, qui fut otage au Liban, parvient à s'évader mentalement de sa condition de prisonnier grâce à un roman de John Le Carré qu'il lit et relit...
Exactement. Autre très bel exemple, celui de Miléna qui était l'amie intime de Kafka, issue d'une famille de résistants. Elle avait été emprisonnée et parvenait à s'extraire mentalement de sa prison nazie. Il s'agit d'une faculté d''évasion mentale' que nous partageons tous, à des degrés divers.
Le bouddhisme, dans sa pratique de la pleine conscience notamment, a-t-il un lien avec l'hypnose?
Matthieu Ricard, à la fois scientifique occidental et maître bouddhiste, explique comment le disciple peut avoir accès à un autre état, par exemple en cas de douleur, par la transformation et par l'autosuggestion. Il s'agit d'états de méditation, dans lesquels on fait abstraction du monde extérieur en se concentrant et en acceptant sans interprétation ce qui est. Le neurologue Steven Laureys, spécialiste du coma, s'intéresse lui-même à la méditation.
2500 ans
Vous écrivez que le Dr Erickson fait de l'hypnose conversationnelle 2500 ans après Antiphon dans la Grèce antique...
L'être humain est identique, quelle que soit la période... Erickson avait remarqué que quand un enfant tombait et hurlait, s'il commençait à faire comme s'il dessinait un cercle autour de lui, il était tellement fasciné qu'il en oubliait de pleurer. Parfois, le fait d'abandonner la compréhension et de se laisser subjuguer, pour le meilleur ou pour le pire, plonge l'individu dans un autre état où la douleur, la souffrance deviennent périphériques par la manipulation de l'attention, volontaire, involontaire ou spontanée. Erikson saupoudrait ses interventions, qui étaient réfléchies et pas spontanées, de suggestions qui faisaient leur effet parce que les patients n'avaient pas le temps de réagir intérieurement. Les Grecs anciens n'avaient certes pas notre évolution technique et scientifique mais, par leurs capacités, parvenaient cependant à des résultats spectaculaires.

Peut-on comparer l'autosuggestion à l'effet placebo?
L'effet placebo s'amplifie et son effet est d'autant plus efficace lorsque la personne a par exemple suivi un traitement, un traitement médicamenteux pour une maladie et pas seulement un traitement de la douleur ou de la souffrance. Il laisse une trace dans la mémoire, et si l'on parvient à recréer les situations qui inconsciemment réinvoquent chez la personne le bien que lui a fait le traitement qu'elle a suivi et si celui-ci a eu lieu plusieurs fois, on peut réinvoquer sans le dire l'effet, et le placebo fonctionnera d'autant mieux.
L'effet placebo, c'est aussi le fait d'avoir en face de soi un médecin en qui on a confiance, parce que l'on sait qu'il vous a écouté, compris et aidé. Et si de plus ce médecin est rassurant, a une voix agréable et un discours apaisant, l'effet placebo est d'autant plus important. Le placebo, c'est parfois le médecin et le médicament qui lui est associé.
Coué et Himmler
La méthode Coué a-t-elle un rapport avec l'hypnose ou l'autosuggestion?
Oui. On s'est beaucoup gaussé de ce pharmacien français. Coué a découvert la puissance du langage intérieur. Nous avons tous un langage intérieur qui peut d'ailleurs être assez toxique quand c'est une rumination. Coué avait découvert le pouvoir du langage intérieur et était persuadé, à juste titre, qu'il permet de se raisonner, se calmer, se créer une réalité qu'on aura créée à l'intérieur de soi et qui favorise un certain optimisme ou une certaine joie de vivre. Celui qui se dit "ça ira bien" façonne aussi sa réalité, celle de l'autosuggestion. Et ça peut être plus large et nuancé que ce que disait Coué.
Vous évoquez cette incroyable relation médecin-malade entre le Dr Felix Kersten et le chef des SS Heinrich Himmler...
Kersten était déjà en soi un personnage extraordinaire, qui avait été l'élève d'un praticien asiatique et donc était aguerri à la médecine orientale, qui, par un processus hypnotique, sortait en quelque sorte de son propre corps et pénétrait dans celui du malade. Kersten est amené à soigner ce sinistre patient qui souffrait de douleurs intenses de la sphère digestive. Malgré son opposition au nazisme, Kersten accepta de le soigner. Son traitement par les massages fut si efficace, qu'il fut appelé de nombreuses fois pour pratiquer et en profita pour suggérer délicatement et avec persévérance la libération de nombreux Juifs, et le renoncement à la déportation de milliers de Hollandais, qu'il obtint en persuadant le nazi que cette démarche lui ferait du bien et lui éviterait une aggravation de son état.
Anita Violon. La thérapie hypnotique au fil des siècles. Satas