Le pharmacien

Projet Vidis

Un débat à la chambre pour ses dix ans ?

Déposée le 20 août 2025 à la Chambre par Petra De Sutter et Rajae Maouane (Ecolo-Groen), une proposition de résolution[1] remet en avant un chantier ouvert depuis plus de dix ans : la numérisation complète et intégrée de la prescription et du suivi médicamenteux, autrement appelée projet Vidis.

Le texte s’inscrit dans la continuité du projet Vidis (Virtually Integrated Drug Information System), lancé il y a dix ans par l’Inami. Ce projet, pour rappel, ambitionnait dès l’origine de rassembler, sur une seule interface, les données issues de la prescription électronique (Recip-e), des schémas de médication (coffres-forts BruSafe, Intermed et Vitalink), du dossier pharmaceutique partagé (DPP) et de MyCareNet.

Dix ans plus tard, force est de constater que le projet a avancé, mais inégalement : l’interopérabilité reste insuffisante et l’intégration dans les logiciels de terrain laborieuse.

Depuis le 1er janvier 2020, la prescription électronique est généralisée et rendue obligatoire, à quelques exceptions près. Pourtant, comme le souligne la résolution, « la surcharge de travail des médecins généralistes est encore aggravée par toutes sortes de tâches administratives », sans que le bénéfice des outils numériques se traduise toujours par un gain de temps. Dans ce contexte, Ecolo-Groen entend replacer la question de la gestion médicamenteuse intégrée au centre du débat parlementaire.

Un projet où le pharmacien est central

Dès son lancement, le projet Vidis a été conçu comme une plateforme de gestion intégrée de la médication impliquant à la fois médecins, pharmaciens et patients. Le pharmacien y occupe une place stratégique, puisqu’il est à la fois le dispensateur, le garant du schéma de médication et un acteur clé du suivi thérapeutique.

Le DPP constitue une première brique essentielle. Alimenté par les délivrances réalisées en officine, il permet de partager des informations actualisées sur les traitements du patient, accessibles via MaSanté.be ou l’application mobile « Mes Médicaments » de l’Inami. Ces données sont complétées par les schémas de médication issus des coffres-forts de première ligne (BruSafe, Réseau santé wallon, Vitalink).

Depuis 2017, le dispositif du pharmacien de référence renforce encore ce rôle. Tout patient polymédiqué – c’est-à-dire ayant pris au moins cinq médicaments remboursés différents au cours de l’année écoulée, dont un de façon chronique – peut désigner son pharmacien de référence. Celui-ci établit un schéma complet et à jour, partagé via les plateformes de données. Plus d’1,5 million de Belges ont déjà recours à ce service, selon l’Institut pharmaceutique pour l’économie de la santé (IPhEB).

Enfin, depuis avril 2023, les pharmaciens peuvent réaliser une revue de médication pour les patients polymédiqués, service pris en charge par l’Inami. Cette évaluation structurée permet d’identifier redondances, interactions ou traitements inappropriés. Elle s’inscrit dans les projets de concertations médico-pharmaceutiques (CMP), qui visent à favoriser un usage rationnel des médicaments.

Ces dispositifs illustrent la montée en puissance du rôle clinique des pharmaciens dans la gestion médicamenteuse. La résolution Ecolo-Groen propose de consolider cette dynamique en facilitant l’intégration des données et en automatisant la mise à jour des schémas de médication.

« Les pharmaciens sont particulièrement affectés par cette situation : ils perdent plusieurs heures chaque semaine à rechercher des solutions adéquates » - Petra De Sutter (en photo) et Rajae MaouanePetra De Sutter à la Chambre

Une nécessité

La résolution parlementaire souligne également à quel point les difficultés actuelles pèsent sur les pharmaciens. Premier défi : la gestion des pénuries. Selon les chiffres cités, « 736 conditionnements, soit 7,36 % de tous les conditionnements commercialisés, étaient temporairement indisponibles » au moment où le texte de loi a été rédigé. Petra De Sutter et Rajae Maouane notent que « les pharmaciens sont particulièrement affectés par cette situation : ils perdent plusieurs heures chaque semaine à rechercher des solutions adéquates ». Les prescripteurs ignorent parfois que le traitement prescrit n’est pas disponible, obligeant le patient à attendre ou à consulter plusieurs intervenants.

Autre réalité : la surconsommation et le gaspillage. La résolution rappelle qu’« aujourd’hui, on constate trop souvent, par exemple lors d’un décès, que les médecins établissent systématiquement une nouvelle prescription pour l’ensemble de la médication active et que les patients vont chercher ces médicaments à la pharmacie sans tenir compte de leur stock à domicile ». Résultat : « chaque année, des tonnes de médicaments non utilisés et périmés doivent être détruits », soit près de 700 tonnes en 2022 selon pharma.be.

Les conséquences sur l’environnement ne s’arrêtent pas là : environ la moitié des médicaments non utilisés finiraient dans l’environnement. Des analyses en Flandre ont révélé que des molécules comme la carbamazépine, la gabapentine ou l’irbésartan étaient détectées dans plus de 90 % des points de mesure des eaux de surface. Ces données illustrent l’urgence d’une meilleure rationalisation de la prescription et de la délivrance.

Des propositions qui font sens à l’officine

La résolution avance plusieurs mesures qui touchent directement la pratique des pharmaciens. La plus structurante est la possibilité « d’adapter l’arrêté royal du 1er février 2018 (…) de manière à ce que le prescripteur puisse prescrire tous les médicaments en tant que traitement, c’est-à-dire sur la base d’une posologie et d’une durée de traitement plutôt que par conditionnement ». Pour l’officine, cela signifierait une meilleure adéquation entre délivrance et besoins réels du patient, et moins de prescriptions répétitives à gérer.

Deuxième mesure : l’intégration automatique des prescriptions dans le schéma de médication du patient via Vidis. Le texte insiste pour que ces données soient « automatiquement et correctement enregistrées », afin de disposer en pharmacie d’une vue complète et actualisée des traitements.

Autre innovation proposée, la création d’un « compteur » comparant la quantité prescrite à la quantité délivrée. Pour le pharmacien, cet outil constituerait un levier de suivi de l’observance et permettrait de détecter des délivrances excessives. Enfin, la résolution propose de limiter à un an la durée maximale des prescriptions chroniques, pour encourager une réévaluation médicale régulière.

Ces propositions mettent en lumière le rôle croissant du pharmacien comme acteur clinique de la chaîne du médicament. La prescription basée sur la posologie et la durée renforcerait sa capacité à vérifier la cohérence des traitements et à intervenir de manière proactive en cas de problème d’observance ou de stock à domicile.

La mise à jour automatique du schéma de médication via Vidis offrirait une base commune fiable aux médecins et pharmaciens. Elle faciliterait les revues de médication (remboursées par l’Inami et les démarches de concertation médico-pharmaceutique. La résolution souligne d’ailleurs que « la mise en place de flux de données numériques optimaux (…) pourrait promouvoir l’autonomisation des patients et le suivi réalisé par leurs prestataires de soins ».

Limites et obstacles

Si les propositions avancées semblent prometteuses, leur mise en œuvre concrète reste semée d’embûches. Le premier frein est technique : l’interopérabilité des logiciels de prescription et de délivrance demeure insuffisante. La résolution note que « les éditeurs de logiciels sont peu motivés à intégrer rapidement et de manière conviviale les services proposés par les pouvoirs publics, car cela ne leur procure guère d’avantage concurrentiel ». Même les intégrations rendues obligatoires, comme la prescription électronique via Recip-e ou l’utilisation de la source authentique des médicaments (SAM v2), se sont révélées laborieuses et incomplètes.

Deuxième difficulté : l’acceptation par les professionnels de santé. Ceux qui ont suivi le projet Vidis au cours des dix dernières années le savent : certaines évolutions – techniques ou pratiques – mettent du temps à être adoptées. Il faut dépasser les clivages et la pensée en silos.

Enfin, la résolution souligne l’existence d’obstacles réglementaires qui freinent l’optimisation des processus, malgré dix ans de travail. La multiplication des acteurs (Inami, SPF Santé, plateformes régionales, développeurs privés) complique la gouvernance et ralentit les avancées. Sans volonté politique forte, les objectifs affichés risquent de rester théoriques.

L’occasion de rappeler que la proposition déposée par Ecolo-Groen reste une résolution, c’est-à-dire un texte non contraignant. Elle ne crée pas de nouvelles règles de droit mais vise à « mettre le sujet à l’agenda politique ». Dans une Chambre dominée par d’autres forces politiques, les chances d’une adoption immédiate et d’une traduction en mesures exécutoires demeurent limitées.

[1] https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/56/1016/56K1016001.pdf

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Écrit par Laurent Zanella8 septembre 2025

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